mardi 28 février 2017

Retour sur le parcours "Trans Express"

Je me suis rendu aujourd'hui à la faculté Segalen pour un parcours intitulé "Trans Express : 24 minutes dans la peau d'une personne trans".



Le parcours consistait en ceci :

Fiche de personnage et organisation


On rentre dans la salle et on est accueilli par une personne sur notre droite qui nous explique les règles du jeu et nous invite à choisir le personnage ( ce que l'on appelle dans le milieu du jeu de rôle un "prétiré" ) que l'on va jouer.

Les fiches de personnages sont constituées : du nom de la personne ; de son âge ; d'une description contenant des éléments biographiques succincts et des problèmes auxquels ce personnage est confronté ; des jetons de moral et de santé ; un ensemble d'icones représentants différents domaines "conflictuels", prioritaire ou non en fonction du personnage. De tête il y a :

- La famille
- Le couple
- La justice
- La médecine spécialisée
- La médecine générale
- Le travail
- La SoFECT ( la Société française d'études et de prise en charge du transsexualisme  )

Chaque domaine dispose de son bureau parmi tous ceux disposés en cercle au centre de la pièce.

En-dehors de ce cercle nous trouvons :

- La table sur laquelle se trouvent des tampons ( j'y reviendrai ).
- Un cercle de chaises tenu à l'écart symbolisant la prison ou le suicide.
- Un espace de discussion cloisonné pour le debriefing.

Ce que j'ai vécu




J'ai choisi un personnage du nom de Claude. Claude est de genre non-binaire, il ne se considère ni homme, ni femme. Assigné homme à la naissance et portant officiellement le nom de Philippe iel ( pronom non binaire )  souhaite :

- Demander à son médecin généraliste l'autorisation légale de suivre un traitement hormonal. Iel se fournit déjà, depuis 10 ans, sur internet de manière illégale.

- Changer son visage par la chirurgie pour le faire correspondre à son genre.

- Demander des conseils à Pôle Emploi sur les manière de faire entendre à ses futurs employeurs qu'iel n'est pas un homme mais une personne non-binaire.

- Changer son prénom en Claude.

Ce sont en tout cas les éléments de la vie de Claude que j'ai vécus pendant cette vingtaine de minutes.

Claude a commencé à se rendre chez son médecin généraliste pour demander un traitement hormonal. Ce dernier ne comprenait pas ce qu'iel voulait : être un homme ou être une femme ? Claude a essayé d'expliquer que ...

bip ! "C'est l'heure des hormones !". Toutes les quatre minutes les personnes jouant un personnage prenant un traitement hormonal doivent se rendre à la table des tampons pour simuler la prise des hormones.

Retour chez le médecin : niet, pas d'autorisations, la demande n'est pas claire, on est homme ou on est femme. Claude évoque le cas des personnes nées intersexuée. Le médecin lui répond : " eux c'est à la naissance, vous vous souhaitez vous transformer, c'est une pathologie équivalente à la schizophrénie, il me faut l'avis de votre psychiatre ". Un point de moral en moins pour Claude ...

Alors qu'iel quitte le médecin intervient le "parasite". Le "parasite" est une personne qui amène au joueur un événement inattendu. Pour Claude il s'agit d'un rendez-vous Pôle Emploi.

Ça tombe bien Claude doit s'y rendre pour demander des conseils. Allons tout de suite à l'essentiel, l'entretien sera court : Pôle Emploi n'est pas là pour faire du coaching sur des problèmes liés à non-binarité.

Pendant qu'iel est dans l'administratif, Claude se dit qu'il serait bon d'entamer les démarches concernant le changement de prénom. Iel se rend à la mairie et la personne lui explique que l'on peut changer son prénom pour des raisons de désagréments phonétiques, s'il est ou semble ridicule, mais qu'il n'est pas possible de changer son prénom pour un prénom d'un autre sexe, et encore moins pour des motifs de non-binarité. Claude essaye de justifier le fait que ce prénom est non genré ( il y a des Claudes femmes et des Claudes hommes ), mais le motif est dirimant, et il faut faire appel à la justice pour obtenir un droit potentiel. Ça n'est pas du ressort de l'agent de la mairie.

Réponse de la justice : demande refusée. Claude perd à nouveau un point de moral.

Juste après iel perd deux points de moral, suite à un événement parasite concernant une démêlée avec la justice dont je ne me souviens plus exactement le contenu si ce n'est que cela concerne évidemment la non-binarité ( les événements parasites se font parfois un peu dans la précipitation ).

Reste la demande en chirurgie plastique qui sera elle aussi refusée pour des motifs similaires à ceux donnés par le médecin généraliste : il faut savoir si vous voulez être un homme ou une femme, il faut l'avis d'un psychiatre.

Claude perd encore un point de moral, et c'est déjà bien mal en point qu'iel subit les effets d'un surdosage hormonal qui lui abîmera la santé et minera son moral jusqu'à la tentative de suicide ( quand les jetons de moral sont à zéro ).

J'ai arrêté la partie arrivé à ce point car, bien que Claude soit sortit vivant de sa tentive de suicide j'avais parcouru les principales étapes à réaliser dans son cas.


Debriefing et entretien


Une fois la "partie" ( j'utilise les termes du jeu de rôle mais je ne sais pas s'ils sont adaptés ici ) terminée je me suis rendu à l'espace de debriefing. Il y avait déjà quelques personnes, et d'autres arriveront après moi de manière régulière, il n'y a pas de groupes.

Ce qui m'a tout de suite frappé c'est que le ressentit était très différent en fonction du personnage que l'on avait joué. Untel avait le sentiment que la plus grande violence que les personnes trans pouvait connaître relevait probablement du domaine familial, les déboires administratifs étant finalement proches de ce que peuvent connaître des personnes se trouvant dans des situations compliquées de manière plus générales. Cette personne jouait un personnage qui, entre autre chose, avait perdu la garde de ses enfant lors d'une procédure de divorce au motif de son statut de personne trans-genre.

Pour ma part c'est bien la spécificité de la rigidité administrative et même langagière qui m'avait le plus frappé ( mon personnage n'ayant pas de problèmes majeurs sur le plan familial ou conjugal ) : les interlocuteurs se cachaient bien souvent derrière la nécessité administrative de remplir la case "homme" ou "femme" pour pouvoir continuer les procédures.

On y apprenait aussi que le taux de suicides chez les personnes trans est particulièrement élevé ; qu'il est possible en Allemagne de remplir une case "autre" à la naissance d'un enfant si ce dernier est intersexué ( ce qui est impossible en France ) ; qu'en Australie cela peut être fait à tout moment de sa vie etc.

A la suite de ce debriefing j'ai été invité par une jeune femme à un entretien durant lequel j'ai répondu à quelques questions concernant ce parcours et dont l'essentiel du contenu se trouve dans cet article. Ces entretiens seront remis, si mes souvenirs sont bons, à une chercheuses de la faculté travaillant sur la trans-sexualité qui traitera les retours et enverra une synthèse à l'association LGBT de la fac.

Tout cela est évidemment à prendre au conditionnel car mes souvenirs sont parfois un peu nébuleux. Il s'est passé en moins d'une heure, beaucoup de choses !

Conclusion



Ce parcours me semble excellent. Difficile au premier abord : j'ai eu peur de mal jouer mon personnages, que le temps manquant pour assimiler tous les outils ( objectifs primaires, secondaires, jetons, tampons pour les hormones ... ) me ferait perdre pied. On est tout de suite jeté dans le feu de l'action !

Ce qui me semblait a-priori un problème du procédé me semble a-posteriori une force : On est immédiatement en situation de stress, de tension, de malaise. Et c'est précisément ce que veut ce parcours : montrer que la vie de personne trans-genre est remplie de choses difficiles, d'obligations à se justifier sur qui l'on est, sur sa santé mentale, ses désirs, ses objectifs, à se livrer quand on veut juste obtenir une autorisation légale à quelque chose que l'on pratique déjà etc.

Il serait évidemment très intéressant de vivre un tel parcours sur un temps plus long. Mais ce serait indéniablement plus complexe à mettre en place et toucherait moins de monde : cela ne pourrait pas être proposé à autant de personnes sur la même plage de temps, et cela n'attirerai probablement pas autant de monde même si les moyens étaient illimités.

Investir 24 minutes de sa vie dans un tel "jeu de rôle" ça n'est pas la même chose qu'y investir 2 voire 4 heures.

Un lieu parfaitement adapté à ce type d'exercices est l'école.

Au final une question continue de me tarauder en cette fin de journée : il est assez impressionnant de voir qu'un tel parcours ait pu s'afficher dans le hall d'entrée de la faculté Segalen sans que cela ne pose de difficultés majeures. La popularité du parcours faisait également plaisir à voir. Mais quid du profil des personnes l'ayant fait ? Y avait-il des personnes ayant des a-priori négatifs sur les personnes trans-genre, y avait-il des personnes transphobes ? Et si oui, quel impact a eu sur ces personnes le parcours ?

Petite bibliographie

Je remercie la personne qui tenait le stand avec tous les livres pour les conseils !



Changer de sexe : identités transsexuelles, de Nicot et Augst-Merelle, Le Cavalier Bleu, 2006



Sociologie de la transphobie, Espineira et Raibaud, MSHA, 2016



Transidentités : ordre & panique de Genre: Le réel et ses interprétations, Espineira, L'Harmattan, 2015



Elle ou lui ? : Une histoire des transsexuels en France, Foerster, La Musardine, 2012

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